Le Docteur Marque*, expert de la création de nom depuis 2004, répond à nos questions. Dr Marque bonjour et merci d’avoir accepté notre invitation. Alors en préparant cet entretien nous avons demandé autour de nous ce que les gens pensaient des « agences de création de nom de marque ». Souvent la phrase « tout le monde est capable de créer un nom » revient. Est-ce vrai ? Dès lors, la création de nom de marque est-elle un vrai métier ?
Bonjour, je vais d’abord répondre à « tout le monde est-il capable de créer un nom ? » Oui, tout le monde est capable de créer un mot et par extension un nom. Certains le font souvent d’autres que très rarement, cela dépend des individus et de leur propension à créer. Certaines techniques de création de nom sont, dans le fond, assez naturelles. On raccourcit un mot existant (télé, déca, resto…), on prend une partie d’un mot puis une autre partie d’un autre mot et on les assemble (pourriel, alicament, clavardage…), on passe par une autre langue (la remote, un feat, ça bug), on utilise un sigle (VDM !)… D’ailleurs les enfants inventent souvent des mots (« Supermôa » grâce à mon « méglazer » et mon super ordinateur à « mécatron » vais sauver la « banane » de lune perdue dans les draps qui « s’emboulent ».)
« En revanche, créer un mot ou un nom n’est pas créer un nom de marque. »
Dr Marque
Un nom de marque répond à un besoin stratégique d’une entreprise. Il est le véhicule d’un ou plusieurs messages choisis dans un objectif de succès pour l’entreprise. Il produit un effet sur celui qui le reçoit afin de favoriser l’intéressement et sa mémorisation. Les règles d’antan – un nom court, un nom simple facilement prononçable, un nom qui décrit le produit ou le service, un nom qui commence par A… – sont toutes remises en question. Les vecteurs ont changé, les consommateurs ont changé, la consommation a changé.
Un exercice que je fais souvent avec mes clients est de leur demander les noms de marque qu’ils apprécient. Apple, Dior et Tesla sont souvent cités. Une pomme et deux patronymes, je me dis qu’il faut toujours appuyer sur la différence entre la marque, le bloc-marque et le nom de marque.
Le nom de marque est le véhicule écrit d’une marque ; il se voit, il se lit, il se prononce, il s’écoute et il propose un sens direct ou indirect au récepteur dans l’objectif de créer un ancrage dans le cerveau. Tout peut se voir ou s’imaginer en termes de nom de marque, même des phrases (la vache qui rit, I can’t believe it’s not butter…) ou des alphanumériques (Levi’s 501, HotelF1…) ou des mots complètement inventés (Häagen-Dazs). Mais tous tentent de relever le défi de vous attirer vers son produit, son service ou son entreprise.
Le bloc marque renvoie aux autres artifices de sens et de séduction à savoir le logotype et parfois la signature. Personnellement, j’y inclus les jingles sonores dès lors qu’ils trottent dans la tête des gens. Les puristes m’assassineront ! A noter que d’une manière générale le nom de marque est pérenne, le logotype et la signature le sont beaucoup moins.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble de ces signes constitue l’identité de marque au sens strict du terme. On pourrait comparer cela à votre carte nationale d’identité. Les informations qu’on y trouve déclinent succinctement des éléments distinctifs sur vous et vous permettent d’être différencié des autres. En revanche, cette carte ne dit rien de qui vous êtes en profondeur, ce que vous faites, votre histoire, vos ambitions, vos valeurs, vos aspirations, vos passions, vos motivations, votre manière d’être, vos méthodes, vos rêves, etc. Et pourtant tous cela fait partie de vous. Et bien la marque c’est tout ça, ensemble. Et c’est l’ensemble qui crée la préférence auprès du consommateur, la fidélisation et le Graal de ceux qui ne pratiquent pas la langue de bois, le premium de prix.
Les personnes qui répondent « j’aime Apple » parle de la marque et pas uniquement du nom de marque. Elles y incluent la performance, l’ergonomie et le design des produits, les services proposés par l’entreprise, etc.
Le nom de marque, avec le temps, se nourrit du travail de l’entreprise. Il se charge en sens. Nous reviendrons probablement sur ces éléments dans un prochain entretien.
Vous me demandiez si tout le monde pouvait créer un nom de marque. Je dirais qu’il s’agit là d’un vrai métier. Il commence par la compréhension du besoin stratégique de l’entreprise et sa mise en perspective. Cela permet de proposer des axes de création auxquels le « client » n’aurait pas pensé, de le challenger et d’ouvrir le champ des possibles.
Ensuite, il ne suffit pas de créer un seul nom, il en faut des centaines et cela pour trois raisons.
- Premièrement, un obstacle énorme est à passer : la disponibilité juridique. Et croyez-moi ce n’est pas une partie facile. On dénombre environ 65 millions de marques actives dans le monde (900 mille rien qu’en France). Certaines classes de dépôt sont hyper encombrées si bien que si nous prenons en compte la recherche par similitudes cela ne laisse pas beaucoup de place.
- Deuxièmement, la disponibilité en nom de domaine. 350 millions de noms de domaine sont enregistrés dans le monde et les demandes clients se concentrent sur les extensions les plus utilisées ; l’incontournable « .com » et le « .fr » national. Ajoutons à cela la demande récurrente des clients à ne pas utiliser de mots « artifices » pour « libérer » le domaine comme « LeNom-groupe.com » ou « LeNom-officiel.com » afin d’avoir le plus que parfait « LeNom.com ».
- Troisièmement, donner le choix du nom au client. Nous devons arriver avec un panel de propositions pour que les collèges décisionnaires puissent avoir la possibilité de choisir celles qui leur correspondent.
J’ajoute que quand on a le bonheur de travailler avec des entreprises internationales un autre obstacle supplémentaire s’ajoute, la validation socio-culturelle à l’étranger. Il s’agit là de s’assurer que le nom dans les pays cibles ne disent ou n’évoquent pas quelque chose de négatif ou risible. L’exemple dont la presse s’est emparée il y a quelques années est celui du Renault Koléos pour la Grèce. Si à l’origine en grec ancien, κολεός signifiait le fourreau de l’épée ou le péricarde bref quelque chose qui entoure (ce qui donnera « couille » chez nous), en grec moderne il signifie le « vagin ». Toujours dans le secteur des voitures on trouve l’Audi e-Tron qui dans les pays francophones ne sonne pas très glammour. Et des exemples comme ça il y en a des tonnes. Bref il faut faire en sorte de s’assurer de minimiser ce genre de risques.
Ainsi pour choisir, déposer et exploiter une seule marque il faut être terriblement productif.
Enfin, il est très souvent important d’avoir une aide extérieure en termes de création de nom de marque ne serait-ce que pour le soutien que les professionnels de la question apportent dans la présentation et le choix du nom.
Donc si tout le monde peut créer un nom il faut une réelle expertise et beaucoup d’énergie pour arriver à créer un nom de marque.
*NB : Le « Docteur Marc Marque » sont un titre et une identité complètement inventés, un pseudonyme purement humoristique, toute ressemblance avec une personne existante ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
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